Chaque année, au mois de janvier, se déroule à San Juan de Pasto une grande manifestation symbolique de la diversité culturelle et ethnique de la Colombie : le Carnaval de Negros y Blancos, classé par l’Unesco en 2009 chef-d’œuvre du Patrimoine Culturel et Immatériel de l’Humanité.

« Qué vivan los Negros ! Qué vivan los Blancos ! ». Le slogan phare de ce carnaval haut en couleurs résonne à chaque coin de rue, scandé à tout bout de champ par les milliers de colombiens et étrangers qui font le déplacement pour vivre un moment inoubliable. Se déroulant du 28 décembre au 7 janvier, avec pour points culminants les 5 et 6 janvier, respectivement Jour des Noirs et Jour des Blancs, ce carnaval convertit la capitale du Nariño en une immense fête à ciel ouvert, colorée, musicale et familiale.

Retour sur l’histoire d’une fête populaire devenue symbole du syncrétisme social et culturel de la Colombie

Le Carnaval de Negros y Blancos en tant que tel existe depuis 1926, pourtant ses origines sont plus anciennes et son déroulement découle de diverses fêtes issues de l’histoire multiculturelle du pays. Cet événement est à la confluence de diverses cultures venant tantôt des Andes, tantôt de l’Amazonie ou du Pacifique mais est aussi fortement imprégné de l’influence coloniale espagnole.

Aussi loin que l’on puisse remonter, le carnaval aurait ses origines dans les traditions des Indiens Pastos et Quillacingas qui en cette période de l’année célébraient la déesse de la Lune pour qu’elle protège leurs récoltes. En 1607, suite à un mouvement de révolte des populations esclaves noires de la région d’Antioquia, la Couronne espagnole accorde le jour du 5 janvier comme un jour de liberté et de festivité pour garantir la paix sociale. La tradition s’est maintenue et s’est petit à petit étendue chez les blancs et les « mestizos » (métisses) de toute la région.

Un 6 janvier de 1912, l’histoire conte que le tailleur de la ville de Pasto, le lendemain du Jour des Noirs, aurait aspergé par surprise les clients d’un salon de coiffure avec du fond de teint blanc et du talc en criant « Vive les Blancs ! » ; le second point d’orgue du carnaval était né, la tradition du « Juego de Blancos » (Jeu des Blancs).

Consacré Patrimoine Culturel de la Nation en 2001, le carnaval représente de nos jours la Colombie sous ses multiples facettes. Cet évènement est préparé de manière quasi ininterrompue par les quelques 9800 artisans, 2000 danseurs, 1200 musiciens et plus de 2200 enfants présents chaque année. Le carnaval est un moment de convivialité sans égal dans le pays, où règne un esprit de tolérance et de partage, mélangeant les classes sociales. Les « Pastusos », habitants de Pasto, mais aussi ceux de toute la région, s’organisent en ateliers collectifs pour présenter et transmettre leurs valeurs et leurs traditions incarnées par les arts carnavalesques. Ce grand rassemblement d’allégresse se convertit en un espace et un temps de paix pour une population longtemps victime du conflit.

Une fête familiale où la musique est reine

Dès le précarnaval, les festivités réunissent les petits et les grands. Le 28 décembre, la tradition veut que l’on s’asperge d’eau pour « se purifier ». Le 31 au soir a lieu le défilé del Año Viejo (de la vieille année), où des pantins en bois ou en papiers mâchés sont brûlés sur les douze coups de minuit, expiant l’année qui s’achève de tous ces évènements malheureux. Le même soir, le ciel s’illumine de nombreux feux d’artifices. Le 3 janvier a lieu le Carnavalito : la version des enfants du grand défilé qui se prépare.

Chaque nuit, des concerts résonnent à tous les coins de rues, car oui le Carnaval de Pasto est avant tout musical. Les fanfares se succèdent et différents groupes colombiens de renom se partagent les scènes pour des concerts gratuits comme la Herencia de Timbiqui (musique du Pacifique), l’orchestre de Lucho Bermudez (cumbia de carnaval), ou encore celui de Daniel Calderon (vallenato), accueillis dans les éditions précédentes.

La musique andine est à l’honneur le 3 janvier lors du « Canto a la Tierra » (Chant à la Terre), où les trios de flûtes de pan, ou autres quenas et gaitas raviront le public. Les amateurs de musique internationale ne seront pas en reste et se régaleront lors du Pastorock (2 janvier), puis au détour d’une ruelle en se laissant entrainer par des groupes chiliens ou canadiens venus faire le show, avant de continuer jusqu’au petit matin dans les nombreuses boites de nuit de la ville !

Les moments phares du carnaval

Le Carnaval commence réellement le 4 janvier avec le défilé de la Famille Castañeda. Ce cortège ouvre le Carnaval, faisant écho à l’arrivée dans la ville en 1929, d’une grande famille de colon venue d’Amazonie. Cet événement bon enfant incarne la bien légendaire hospitalité des « Pastusos ». C’est également l’occasion de dépeindre par la satyre les us et coutumes de l’époque coloniale.

Le 5 janvier, le Dia de Negros (Jour des Noirs) consacre l’entrée au cœur des festivités. Le « Juego de la Pintica » consiste à ce que chacun se barbouille le visage de peinture noire. Véritable jour de fête et historiquement de liberté, la ville entière se laisse séduire par les rythmes entrainants de la musique afro-colombienne. Ses sonorités et ses danses, comme le Currulao, remplissent les rues et les places d’une atmosphère joyeuse au son des marimbas, guasas, tambores et autres instruments traditionnels de la côte Pacifique.

Le jour suivant, le 6 janvier, el Dia de Blancos (Jour des Blancs) est le point culminant du Carnaval. La journée débute avec le tant attendu Desfile Magno (Grand Défilé). D’immenses chars (carrozas) se succèdent sur l’avenue principale, puis viennent les fanfares (murgas), les déguisements individuels (disfraces) et enfin les chorégraphies de groupe (comparsas). Tout ce cortège est la cible de confettis et serpentins en tout genre. Les spectateurs prennent part à d’immenses batailles de talc blanc, de farine et de mousse (carioca). Chacun porte un poncho de coton blanc (ruanas), une paire de lunettes farfelue, un chapeau excentrique, toute protection originale est bienvenue. L’ambiance est familiale et ludique, les Pastusos se feront une joie de vous repeindre de la tête aux pieds et ne seront absolument pas offensés si à votre tour vous les rendez plus blancs que neige.

Le Carnaval des Noirs et des Blancs est donc un événement immanquable à tout point de vue. A taille humaine, il est aussi plus familiale que le fameux Carnaval de Barranquilla de février, et offre un merveilleux tableau de la Colombie contemporaine. Se rendre à Pasto est également l’occasion de découvrir une région et des paysages à couper le souffle, au cœur de la cordillère des Andes.

Texte d’Eliott Brachet