A l’instar des romans de Gabriel Garcia Marquez, certaines histoires en Colombie dépassent bien souvent les frontières du réel pour s’élever au rang de mythes. Si le football est une religion dans ce pays andin, le cyclisme n’en réunit pas moins d’adeptes et les épopées des coureurs colombiens historiques sont autant de légendes à la gloire du deux roues.

 

Les Colombiens adorent le vélo, raffolent du Tour de France, et par dessus tout vénèrent leur coureur emblématique : Nairo Quintana. Du haut de son petit mètre soixante sept pour cinquante sept kilos, The Little Big Man selon les commentateurs anglais, ou Naironman pour d’autres, a brillé depuis 2013 sur les circuits européens et a suscité un engouement sans précédent chez le public colombien.
Le directeur du Tour de France, Christian Prudhomme, confiait au journal El Espectador que « la passion pour le cyclisme en Colombie avait atteint des sommets ».

Petit rétropédalage sur les origines de cette passion…

Le phénomène Nairo Quintana : « le Condor de la Movistar »

Le jeune homme est originaire des montagnes de Boyacá, une région andine et verdoyante, à quelques encablures au Nord de Bogota. D’un milieu modeste, il débute le vélo à 8 ans sur un VTT bricolé par son père pour qu’il puisse se rendre à l’école, 16 kilomètres plus bas, en roue libre.

Tous les soirs, le jeune Nairo fait le chemin en sens inverse, arqué sur ses pédales, gravissant sans relâche une pente à 8%. Ceci explique cela !

Il fait rapidement son entrée dans la cour des grands, rejoignant en 2009 la sélection colombienne (Colombia es Pasion – Café de Colombia), dans laquelle il se démarque sans surprise.

En 2012, il est recruté par l’équipe espagnole Movistar, dirigée par Eusebio Unzué. S’entrainant principalement dans les Pyrénées, c’est dans Les Alpes qu’il décroche ses premiers succès, en remportant notamment sa première étape européenne lors du Critérium du Dauphiné la même année. Dès sa première participation au Tour de France en 2013, son plus grand rêve, il termine deuxième au classement général. Un exploit à tout juste 23 ans ! L’année suivante, il s’offre le Giro, le Tour d’Italie. En 2015 et 2016 il finit respectivement deuxième et troisième de La Grande Boucle. Sur ces trois participations, il arbore bien souvent le maillot à poids, celui du meilleur grimpeur, ou le dossard immaculé, celui du meilleur jeune. Les côtes, Quintana en raffole. Les longues ascensions sinueuses constituent ses étapes de prédilection et lui offrent ses plus beaux succès. Ses années d’entrainement dans les Andes colombiennes en font un compétiteur hors-norme et lui valent le surnom de « Condor » de la Movistar.

Garçon humble et réservé, il est aussi chaleureux et jovial, à l’image des Colombiens. L’oreille collée à leur transistor, ces derniers ne ratent pas une étape disputée par « el Aguila de Combita ». En effet, l’été, quand les Cafeteros (l’équipe nationale de football) ne jouent pas, les Colombiens sont scotchés à leurs téléviseurs, scrutant avec attention les roues de leur champion sur les pavés du Nord, dans les virages du Mont Ventoux, ou sur les pentes du Col du Tourmalet.

Au cours d’un périple sur la côte Caraïbe, sous la chaleur écrasante des tropiques, vous serez surpris de reconnaître sur le petit écran les plaines verdoyantes du Massif central ou les pâturages alpins. Les évènements sportifs constituent en Colombie d’authentiques moments d’unité nationale où le pays cesse de respirer, accroché aux rêves de leurs compatriotes.

Le fougueux Quintana le sait bien et se démène comme un forcené pour faire exulter ses supporters outre-Atlantique.

Une histoire de « scarabées »

La variété du relief colombien offre un terrain idéal pour les coureurs du pays. L’entrainement en altitude, par cols et vallées, leur a sculpté des cuisses en acier. Les compétiteurs colombiens se sont historiquement fait remarqués par leur habileté sur les étapes de montagnes. Légers et de petites tailles, ils sont d’excellents grimpeurs, très combattifs.

De la bouche de l’immense commentateur costaricain Carlos Arturo Rueda, ils sont comparables à des petits « scarabées », compensant les insuffisances de leurs ailes par la puissance de leurs pattes. Cette fois ces Beatles ne nous viennent pas de Liverpool mais bien de la Cordillère des Andes ; ils ne jouent pas de la pop mais savent écraser la pédale pour s’échapper des pelotons !

La naissance du cyclisme en Colombie comme discipline sportive à part entière remonte au début des années 1950 avec la création en 1951 du Tour de Colombie. A l’instar de son homonyme français, le Tour se convertit vite en une fête populaire largement suivie dans tout le pays, réunissant des populations de tous horizons et de tous milieux sociaux.

Le Tour se poursuit même durant les périodes de forte violence, notamment dans les années 1950. El Niño de Cucaïta, ou Rafael Antonio Niño, l’emblématique vainqueur de ce circuit, devient une véritable star qui fédère le public autour de valeurs communes.

Très tôt, déjà, le cyclisme colombien noue un lien tout particulier avec la France. José Bayaert, cycliste hexagonal, remporte en 1952 le Tour de Colombie. Jusque dans les années 1970, il va être un personnage très influent pour le cyclisme colombien, entrainant bon nombre de jeunes coureurs et participant à la démocratisation de ce sport dans le pays. En 1973, une première équipe de coureurs colombiens débarque en France pour disputer le Tour de l’Avenir, leurs premiers pas sur le sol européen. Certains compétiteurs se distinguent pour leur qualité de grimpe alors que la Colombie est alors classée parmi les équipes amateurs.

Le premier colombien qui participe au Tour de France se prénomme « Cochise » Rodriguez. Depuis cette date, à l’exception de 2010, La Grande Boucle a toujours accueilli des cyclistes colombiens. En 1984, Martin Ramirez, surnommé El Negro, enrhume Bernard Hinault et Greg LeMond pour s’offrir la victoire du Critérium du Dauphiné libéré lors de sa première participation sur un circuit européen. Il fait alors la une de L’Equipe, subjuguant les journalistes.

Dans les années 1980, Luis Alberto Herrera va incarner le panache à la colombienne. Surnommé « le petit jardinier de Fusagasuga », venant des montagnes près de Bogota, ou Lucho pour le public français, il est le premier coureur sud-américain à remporter un grand tour : La Vuelta d’Espagne en 1987.

Il réussit également à se positionner à trois reprises dans les dix premiers du Tour de France, arborant le maillot à poids du meilleur grimpeur en 1985 et 1987. En 1984, suite à une course poursuite acharnée, il remporte l’étape emblématique de l’Alpe d’Huez devant Bernard Hinault et Laurent Fignon.

 

Ses succès sur La Grande Boucle restent dans les mémoires même s’il n’atteint jamais le podium. Cet exploit sera réalisé par son compatriote Fabio Parra en 1988, le premier colombien à se hisser dans le triumvirat de tête.

Les noms changent, mais la passion et les émotions exaltées par ce sport restent intactes en Colombie. De la fouge de Cochise, des espoirs déçus de Parra, des assauts montagneux de Herrera, de l’échappée prometteuse de Quintana, les « forçats de la route » colombiens nourrissent une inlassable passion pour le deux roues et la mythique Grande Boucle.

Egan Bernal, à jamais dans l’histoire du Tour de France

En 2019, la Colombie est entrée dans la légende du Tour de France. Vainqueur de la 106eme édition, Egan Bernal remporte à l’âge de 22 ans la grande boucle, faisant du colombien l’un de ses plus jeunes vainqueurs. C’est une fierté pour tout un pays et une fierté pour sa ville, Zipaquira, située à plus de 2700 mètres d’altitude au nord de Bogota. 

Rêvant de devenir champion, il s’entraine depuis tout jeune sur les routes sinueuses de la cordillère orientale.

Le lendemain de sa victoire tonitruante, le journal colombien El Espectador publiait une édition élogieuse à l’égard d’Egan Bernal : « Egan, un nom qui signifie être rayonnant de lumière, a brillé en jaune, a capté les regards de Bruxelles à Paris et aura désormais toute sa vie pour se rappeler qu’il est, en 2019, le champion du Tour de France. Egan n’a pas fait l’histoire, Egan est l’histoire elle-même. » 

Sur ses deux roues, Egan a non seulement tracé la voie du champion qu’il est devenu, mais également de toute une génération de jeunes colombiens en quête de gloire. Au plus haut du cyclisme mondial, c’est un pays qui rêve d’être connue et reconnue comme une terre de champions, déterminée à faire oublier son passé difficile. 

A n’en pas douter, les colombiens remporteront d’autres brillantes victoires à vélo, mais aussi dans d’autres sports, et la Colombie sera pour le monde ce qu’elle n´a jamais cessé d´être : une Nation d’audacieux et de rêveurs.

Texte d’Eliott Brachet