Les indigènes Kogis sont les héritiers directs des Tayronas , l’une des plus grandes civilisations précolombiennes du continent latino-américain, aujourd’hui disparue.
Ce peuple aux traditions millénaires s’est replié sur les versants de la Sierra Nevada de Santa Marta, un territoire unique aux pics enneigés et aux vallées luxuriantes qu’ils considèrent comme « le cœur du monde ».
Ces 12 000 hommes et femmes y mènent une existence simple et spirituelle, respectueuse de la Terre qui leur a donné naissance. Accueillant très peu d’étrangers, ils se sont pourtant donnés la mission de transmettre leurs savoirs ancestraux aux hommes « civilisés » afin qu’ils renouent avec l’harmonie du monde. A bon entendeur …

Au cœur de la Sierra Nevada de Santa Marta

Partir à la rencontre des Kogis (prononcer « Kogui ») c’est d’abord s’immerger dans un environnement naturel époustouflant.

La Sierra est un écosystème unique aux paysages variés. Elle est la plus haute cordillère du monde en littoral : ses pics enneigés (les pics Cristobal Colon et Simon Bolivar) culminants à presque 6000 mètres (plus hauts de Colombie) se distinguent à l’horizon depuis la côte (seulement à une quarantaine de kilomètres).

Les terres basses sont recouvertes de forêt tropicale qui s’estompe et laisse place aux savanes et forêts de brouillard en altitude (les fameux « páramos ») avant de se convertir en étendue rocheuse à l’approche des sommets. Véritable vivier, cet écosystème accueille 7% des espèces vivants sur cette planète. Avant d’être accueillis dans une famille Kogi, vous connaitrez donc ce territoire magnifique, traversant des cours d’eau cristalline et une jungle dense. Les amoureux de la nature ne pourront qu’être ravis.

Il faut parfois des heures voire des jours pour rejoindre les villages indigènes. Vous emprunterez le « camino real », le chemin principal ou « Bungula », et ses multiples bifurcations pour vous enfoncer un peu plus dans cet univers à part. Les Kogis s’y déplacent pieds nus, à pas rapides, mastiquant les feuilles de coca qu’ils transportent dans leurs « mochillas » rayées (sacs de tissu confectionnés en fibre de sisal ou de fique) portées en bandoulière.

La coca ou « ayo » joue un rôle central dans la vie des Kogis. Récoltée uniquement par les femmes, elle est mastiquée par les hommes pour son effet stimulant qui leur permet de rentrer en contact avec « Aluna » (la pensée, l’âme ou l’énergie). Si deux Kogis se rencontrent ils se saluent par un « Nakua » strident (qui signifie l’homme, mais aussi la surprise) puis s’échangent une poignée de feuilles de coca en signe de respect mutuel.

 

Pour les indigènes Kogis, mais aussi pour leurs cousins Arhuacos, Wiwas et Kankuamos habitants ces montagnes, la Sierra Nevada représente le cœur du monde. Ce n’est pas un simple territoire mais le cœur de la vie, la Terre Mère. Elle est pour eux un organisme vivant dont les sommets sont la tête ; les fleuves, les veines ; et les hommes, les messagers.

La vie quotidienne chez les Kogis

Si vous avez la chance d’être reçu dans un village Kogi, vous serez étonnés de constater comme les indigènes vivent en parfaite harmonie avec leur environnement.

Les Kogis pratiquent une agriculture de subsistance basée sur une polyculture savante qui témoigne d’une grande connaissance de la Terre. Semi-nomades, ils migrent régulièrement d’un territoire à l’autre en fonction des saisons, des récoltes, n’exploitant ainsi jamais la terre de manière intensive.

Sur les terres du haut, les Kogis cultivent des pommes de terre, des oignons, des choux, des laitues, des myrtilles, des tamarilloes (sortes de tomates), des citrouilles, de l’ail, du blé et même du riz.
Sur les terres plus chaudes, ils font pousser du maïs, des haricots, des yuccas, des arracachas, des malangas (tubercules), des feuilles de coca, du coton, des ananas, des papayes, des goyaves, des maracujas (fruit de la passion), des grenades douces, des oranges et des citrons.
Le travail de la Terre est une préoccupation quotidienne, sinon, la jungle reprend ses droits et finit par tout engloutir. Pour les indigènes, l’agriculture est un « thermomètre » qui permet de jauger l’état de leur relation avec la Terre Mère, interprétant les bonnes récoltes comme un signe d’harmonie et les mauvaises comme un symptôme de déséquilibre.

Selon eux, toute chose de la vie doit respecter un équilibre naturel, une alchimie spirituelle. Pour prélever quelque chose à la nature, par exemple pratiquer le brûlis sur une colline afin de faire de nouvelles plantations, il faut bien réfléchir au pourquoi, il faut justifier l’acte, organiser une consultation avec la communauté, afin de statuer et de décider de la procédure à suivre.

Une fois l’acte réalisé, il faut pour eux compenser cette action en effectuant des « pagamientos » (des paiements spirituels) sur des lieux sacrés. Lorsque l’homme prélève, mange un fruit par exemple, il le rend directement à la Terre, en semant les graines derrière lui, sûr que les terres fertiles les feront fructifier à nouveau.

 

Le travail est toujours collectif. Hommes, femmes et enfants effectuent ensembles les tâches quotidiennes. Le reste du temps est consacré à la vie du village et de la famille. Les femmes tissent les mochillas, les hommes coupent le bois, les jeunes vont chercher l’eau. Toute la communauté discute et planifie les sujets à traiter collectivement. Les enfants jouent, ou écoutent les enseignements des Mamos.
Le Mamo représente la personnalité la plus importante chez les Kogis. Il est un guide spirituel, choisi à la naissance, chargé de maintenir l’ordre du monde à travers le chant, la méditation et les rites d’offrandes, et ce dans la vie quotidienne comme au cours des cérémonies. Il dicte les orientations que doit prendre chaque village. Leur formation commence dès le plus jeune âge lorsqu’ils sont emmenés dans les hauteurs de la Sierra pour apprendre à méditer, dans l’obscurité, sur le monde naturel et spirituel. Le Mamo tient également le rôle de professeur et de médecin dans chaque communauté.

 

Un mode de vie menacé par le « petit frère »

Cela vous surprendra sûrement, le Kogi, noble et fier, se juge supérieur aux autres civilisations. Selon leur croyance, ils sont les « grands frères » ou gardiens de la Terre Mère à qui l’univers aurait confié la mission d’enseigner à l’homme moderne la vraie harmonie des choses. Face aux actions destructrices du « petit frère », le civilisé, qui abime la nature, construit toujours plus et ne cesse de se combattre, la responsabilité des Kogis est immense puisqu’ils doivent compenser spirituellement tous ces maux.

Depuis la colonisation, les Kogis ont subi une expropriation systématique de leurs terres. Ils ont longtemps souffert du conflit armé en Colombie : pris entre les feux de la guérilla et de l’armée nationale, beaucoup sont morts ou ont dû abandonner leur territoire.

Aujourd’hui, alors que la violence a disparue des montagnes, le gouvernement colombien ne porte guère plus d’attention aux revendications territoriales Kogis, qui ne pèsent rien face aux perspectives de développement énergétique qui encouragent l’installation de centrales électriques ou de mines de charbon sur des sites sacrés de la côte.

Certaines associations comme Tchendukua se sont mobilisées pour aider les Kogis à récupérer leurs territoires ou sensibiliser l’opinion publique à ce sujet. Les terres retrouvées ont été reboisées et repeuplées : la biodiversité s’y est à nouveau développée et les traditions peuvent se perpétuer.

Pourquoi aller à leur rencontre ? Les Kogis ont un message à nous délivrer. Selon eux, le monde est en train de mourir à cause de nos actions. Il est dès lors vraiment intéressant d’aller se confronter à une vision du monde alternative et un mode de vie si harmonieux pour en tirer des enseignements aussi pratiques que spirituels afin de changer notre propre quotidien, notre rapport aux autres et à la nature. C’est également l’occasion d’esquisser un échange vertueux entre les « grands » et les « petits frères », leur montrer que l’on peut apprendre l’un de l’autre.

Le tourisme, s’il est soucieux de respecter ce mode de vie unique, peut donc être une opportunité intéressante pour les Kogis afin qu’ils continuent de s’affirmer comme un peuple défenseur de l’équilibre du monde et dédié à le préserver. En gagnant leur confiance, vous serez projeté dans cet univers où l’alchimie se crée entre une communauté de philosophes autosuffisants et une nature préservée.

Rencontrer les Kogis est une expérience requérant humilité et sens de l’adaptation, mais le voyageur peut aspirer à leur contact à un échange culturel inoubliable qui lui permettrait d’acquérir une conscience différente du monde. Une telle immersion, emplie de poésie et de nature, peut réellement vous changer… Si vous vous sentez à la hauteur de connaître les « grands », il est temps de préparer vos affaires !

Texte d’Eliott Brachet